J’ai repris cette entreprise alors que la direction souhaitait la fermer et licencier une vingtaine de salariés pour des raisons financières. L’objectif était, avant tout, de sauver des emplois.

Nous avons essayé de changer la grille de lecture habituelle en ne nous inscrivant pas dans une logique de rentabilité court termiste. On a voulu voir comment on pouvait réfléchir à partir de choix éthiques, faire des choix sociaux, économiques et environnementaux qui nous permettent de rentabiliser l’entreprise à long terme et de militer contre les grands groupes qui faisaient de l’argent sur notre dos sans participer aux impôts et à la solidarité nationale.

Un diagnostic a été réalisé et on s’est intéressé aux fournisseurs et aux moyens de financements de l’entreprise.

Une grande partie de nos fournisseurs, des grands groupes pour la plupart, nous facturaient depuis des pays étrangers comme l’Irlande par exemple ou encore la Belgique. Ils ne participaient pas au paiement de la TVA ou de l’impôt en France tout en profitant des services offerts par l’État ou nos entreprises, en ponctionnant de l’argent en France.

Il faut savoir par exemple que Google facture ses clients majoritairement depuis l’Irlande. Donc pas de TVA, pas d’impôts en France. Google salarie d’ailleurs ses salariés français depuis l’Irlande et évite ainsi la fiscalité en France. Il ponctionne en France entre 1,5 ou 1,7 milliard d’euros à travers sa régie Adworld. Mon entreprise dépensait environ 10 % de son chiffre d’affaires mensuel dans cette régie publicitaire. Près de 95 % de nos clients passent par Internet pour avoir accès à nos services et la place de référencement dans le système Google est très importante pour avoir accès à ce marché. Il était intolérable, pour nous, que cette entreprise profite des réseaux sans participer à leur financement.

En un an, nous avons réussi à stopper le paiement sur la régie Adworld, et au début nous l’avons payé très cher. Google n’aime pas qu’on revienne sur les engagements pris. Je l’ai dit dans les médias et on me l’a fait payer très cher et notre entreprise a été déréférencée de Google pendant 8 semaines, entraînant une chute du chiffre d’affaires. Les réserves que nous avions prévues nous ont permis de tenir. Parallèlement, nous avons développé une stratégie sur les réseaux sociaux, donc gratuite, pour capter, sous d’autres formes, d’autres clients. Nous avons mis un an pour revenir à un chiffre d’affaires cohérent comme nous l’avions connu auparavant.

Nous avons réalisé une économie de 10 % du chiffre d’affaires et on ne finance plus cette entreprise parasite. Cet exemple est applicable à de nombreux fournisseurs.

Ainsi, en ce qui concerne les logiciels (PAO, gestion comptable, fiches de paie…),  on pense qu’il suffit de se tourner vers Windows, Sage ou Indesign pour obtenir le meilleur service. En fait, on peut trouver des suites logicielles en open source, liées à des créations collaboratives et internationales très performantes et très adaptées à l’utilisation en entreprise. En trois mois, nous avons remplacé toutes nos suites logicielles. Aujourd’hui, nous n’avons plus de logiciels payants de ces grands groupes dans l’entreprise. Si ce genre de choix peut avoir un coût immédiat pour l’entreprise, de toutes les façons, il rapportera à long terme. Soit on réalise une économie financière par exemple en ne payant plus Google et on développe une stratégie pour compenser, soit on arrive très rapidement à une économie. La démarche n’est pas que financière, elle est politique et militante pour faire la démonstration que c’est possible, qu’il existe d’autres solutions faciles à mettre en place. On voulait aussi sensibiliser nos salariés à leur autonomie dans les choix personnels, dans leur vie quotidienne pour ne pas participer à cette évasion fiscale.

Une deuxième question s’est posée : quel choix faisons-nous pour financer notre entreprise ? Nous avons choisi de travailler avec des banques comme le Crédit Coopératif, un choix éthique car les conditions tarifaires sont sensiblement les mêmes partout. Mais le Crédit Coopératif possède des valeurs qui sont les nôtres. Quand il s’est agi de changer une partie du parc de véhicules, nous ne sommes pas passés par les banques. Nous sommes passés par le crédit participatif. On s’est adressé sur les réseaux sociaux à des particuliers. On leur a proposé d’investir dans notre société pour rentabiliser leur épargne en sortant du système classique.

Ces solutions sont encore mineures dans l’économie. Mais dans les entreprises de plus en plus de cadres s’interrogent pour trouver de nouvelles solutions. C’est de la responsabilité de chacun aussi bien celle des dirigeants que de celle des cadres. Il faut trouver des solutions en dehors de la recherche de la rentabilité à court terme, mais il faut que l’entreprise soit solide socialement, économiquement et d’un point de vue politique.

Ces choix, du diagnostic jusqu’à la mise en place, nous ont permis de renforcer le collectif de travail, parce que il y avait une communauté d’esprit dans les objectifs à atteindre et que l’acte militant posé par l’entreprise a été partagé par les salariés. Aujourd’hui, il n’y plus de turnover dans l’entreprise parce qu’ils ont un bon salaire et font un travail intéressant, mais aussi parce qu’ils estiment que l’entreprise pour laquelle ils travaillent à un objectif et qu’il est bon d’atteindre.

Les bénéfices sont multiples.

Mis en ligne le 3 mars 2018