LEA : Scop-Ti et plus généralement les scops peuvent-elles être considérées comme des entreprises alternatives ?

Olivier Leberquier : Nous avons d’abord lutté pour le maintien de notre activité industrielle et de nos emplois sur le site. Nous avons donc travaillé sur une solution alternative à la fermeture, sans exclure aucune possibilité de forme, ou simplement d’une reprise. Mais comme nous sommes sur des positions de classe
et de réel changement de société et de la réappropriation directe par les travailleurs ou par nationalisation des outils industriels, la solution de la scop nous permettait de gérer directement l’entreprise.

La possibilité de la scop ne s’est pas imposée dès le départ et n’avait même pas été évoquée. Nous avions engagé une réflexion générale avec les institutions, notamment
les collectivités locales, pour trouver une solution à la fermeture. Le Conseil général nous a accordé une subvention qui nous a permis de travailler à une alternative
et ce n’est qu’à partir de ce moment que nous avons commencé à élaborer des solutions, dont la scop.

La reprise par un tiers a été évoquée, ainsi que la création d’une Société coopérative d’intérêt collectif (Scic), notamment avec la filière agricole et la relance des plantes aromatiques, qui touche la région PACA.

Nous avons aussi envisagé une entreprise avec une forme juridique à créer qui réponde aux revendications légitimes des travailleurs et  aux valeurs politiques que l’on porte, c’est-à-dire la récupération de l’outil par les travailleurs. Cette solution avait tout notre assentiment. Mais il aurait fallu mener un combat parallèle à celui que l’on menait contre Unilever. Il fallait porter des lois à l’Assemblée…

La forme juridique choisie, la scop, se rapproche le plus de notre vision des choses et de nos valeurs.

Oui, c’est un modèle alternatif. Pendant longtemps nos organisations (ndlr : syndicales) ont mis de côté
ce type d’organisation en considérant que c’était un accompagnement
du capitalisme. Sur le fond, nous restons des syndicalistes en lutte pour un réel changement de société, à défaut d’avoir renversé le capitalisme, la bataille contre Unilever a été gagnée, maintenant il faut qu’on arrive à fonctionner avec ce système-là.

Notre mode de fonctionnement économique est complètement différent de toute autre entreprise,  ne serait-ce qu’en termes de rémunération du capital, de la répartition de la richesse créée par l’entreprise. Cette forme d’organisation est une forme de résistance et plus on sera nombreux à en faire la démonstration et plus on arrivera peut-être à réaliser le rêve du grand soir, mais d’une autre manière.

LEA : Comment arrivez-vous à conjuguer l’éthique scop et l’économie de marché ?

O.L. : Difficilement. On doit être compatible avec l’économie de marché. Avec Unilever, l’entreprise a traité jusqu’à 6000 tonnes de produits par an sur le site.
Les 5 dernières années, Unilever nous avait restreint à 3 000. Aujourd’hui, pour que l’entreprise soit viable, ait des comptes équilibrés et dégage des bénéfices, il faut au moins 500 tonnes (cinq cents) à l’horizon 2018. La première année, on a vendu 10 tonnes. La deuxième année 26 tonnes de notre marque et 150 tonnes sur la marque distributeur. Aujourd’hui, la scop a signé des contrats avec la grande distribution à la hauteur de 300 tonnes en année pleine. On veut passer à 60 tonnes sur notre marque (Scop-Ti) cette année et à plus de 100 tonnes l’année prochaine pour tendre vers l’objectif des 500 tonnes pour une entreprise qui était à 6 000 tonnes. Une boîte de thé pèse entre 40 et 50 grammes de matière première.

Pour nous, le passage par grande distribution capitaliste est incontournable. Si on veut faire la démonstration de ce qu’on est capable de faire.

Sur les marques distributeurs, les négociations sont très dures. Mais cela nous permet d’avoir suffisamment de volumes pour avoir une assise et un chiffre d’affaires et pouvoir ainsi travailler de l’autre côté avec notre propre marque (vendue aussi en supermarché). La grande distribution ne fonctionne pas avec les mêmes critères que nous.

La question est comment construire en parallèle un réseau sur lequel la scop pourra s’appuyer pour pouvoir négocier sereinement avec eux. Pour le moment 20 % de notre chiffre d’affaires provient du réseau militant (alternatif) : syndicats, partis politiques, CE, associations, collectivités locales… Avec ce réseau-là, nous avons une relation de partenariat. Encore faut-il que la qualité y soit.

Nous travaillons sur la qualité (sans aromes de synthèse). Avec ce réseau-là, l’acte d’achat est un acte de consom’acteurs. Ils défendent l’intérêt d’acheter un produit 1336 avec des gens qui se sont battus pour maintenir l’outil industriel et l’emploi.

Chez nous, il n’y aura jamais de salaires mirobolants, même si demain la croissance est là. Notre politique salariale : 3 catégories professionnelles.
1e collège 1 600 euros nets, 2e collège : 1 670,
3e collège : 2 000 euros. L’idée reste de dégager des bénéfices pour qu’on puisse les faire évoluer. Notre revendication, avec la CGT, est un écart maximum de 1 à 4 avec un salaire minimum autour de 1 850 euros.

En ce qui concerne les circuits parallèles, la gamme scop-ti est exclusivement en bio avec des plantes issues du terroir local, en direct avec des producteurs. La cible de 1336 est la grande distribution, pour scop-ti c’est le réseau spécialisé mais sur cette gamme-là, Carrefour l’année dernière nous a décerné le prix RSE sur la volonté de relancer la filière des plantes aromatiques en France.

Nous avons eu la possibilité d’infiltrer la grande distribution sur la gamme scop-ti on ne s’en ai pas privé. Nous et les producteurs ont besoin que les volumes gonflent.

Avant, la cueillette du tilleul en France atteignait 450 à 500 tonnes par an. Aujourd’hui,  on est tombé à 10 ou 15 tonnes. Les grandes multinationales vont s’approvisionner au fin fond de l’Amérique latine etc. Nous notre circuit c’est 180 kms : pratiquement pas d’empreinte carbone.

Notre lutte pour un réel changement de société s’inscrit dans cette composante. Nous la mettons en application avec notre circuit court. À quoi ça sert de faire faire des milliers de kilomètres à une plante avant qu’elle arrive dans l’assiette du consommateur français alors qu’on en cultive chez nous et qu’on a toutes les capacités à la traiter en circuit court. C’est une réflexion qui doit monter au plus haut niveau politique.

LEA : Quel est votre fonctionnement interne ?

O.L : À la reprise du travail, certains ont conservé le poste qu’ils occupaient, avec la casquette coopérateur, c’est-à-dire qu’il faut qu’ils s’impliquent. D’autres ont évolué complétement : une opératrice est passée à la comptabilité, un autre à la sécurité et à l’environnement.  J’étais technicien de maintenance et je suis directeur général délégué (qualité marketing et commercial et gestion du personnel). Tous les métiers étaient présents dans l’entreprise pour pouvoir redémarrer. Les spécialistes sont repartis sur leur métier.

LEA : Quelle est votre politique de formation ?

O.L. : En interne et en externe. Je prépare un master à Montpellier de dirigeant dans l’économie sociale (mémoire début 2018). Le président de Scop-ti idem. En interne, nous avons eu des formations sur un nouvel outil informatique, sur les machines. Avec l’Union régionale des coopérateurs nous avons travaillé sur la notion de coopérative, comment lire un bilan financier d’entreprise. Il s’agit de donner à l’ensemble des coopérateurs le maximum d’outils pour qu’ils puissent intervenir dans les choix de l’entreprise.

 

Mis en ligne le 3 mars 2018