Hubert Landier réagit ici à l’intervention de Jean-Louis Beffa sur l’industrie. Pour le chercheur, la France reste conforme au modèle de l’école de Chicago qui ne prend guère en compte l’intérêt des salariés et il plaide pour un renforcement du rôle du comité d’entreprise.

Entretien avec Hubert Landier, Vice-président, Institut international de l’audit social, Professeur émérite

Jean-Louis Beffa semble accorder une grande importance au problème de la gouvernance de l’entreprise. Il a raison. Mais il prend acte de ce que la France reste aujourd’hui dans le modèle financier anglo-saxon malgré certaines mesures qui vont dans le sens du modèle rhénan.

Pour employer une autre terminologie, la grande entreprise, en France, reste conforme au modèle financier de l’Ecole de Chicago, qui accorde le pouvoir aux seuls représentants des actionnaires, pour lesquels l’objectif ultime est la valorisation du capital investi. Cette doctrine s’appuie sur le fait que l’entreprise, juridiquement, n’a pas d’existence en tant que personne morale dans la mesure où elle n’est que le prolongement de la société commerciale.

À cette conception s’oppose le modèle dit des « parties prenantes », selon lequel l’entreprise doit être administrée en tenant compte simultanément des intérêts des actionnaires, mais aussi des salariés, des clients et des collectivités publiques. Cet objectif peut être atteint de différentes façons. D’abord par la présence
au conseil d’administration de représentants des salariés en nombre suffisant pour qu’ils puissent se faire entendre des administrateurs représentants les investisseurs. C’est le modèle allemand.

Mais on peut aussi imaginer un développement de l’actionnariat salarié ; c’était l’idée du Général de Gaulle avec la création de la « participation des travailleurs aux fruits de l’expansion des entreprises ». Ce modèle n’a pas, jusqu’à présent, produit de résultats convaincants.

Et l’on peut, enfin, concevoir un renforcement du rôle du comité d’entreprise, ou demain du conseil d’entreprise, et le réformer de façon à ce qu’il soit présidé par un élu des salariés, là aussi comme en Allemagne.

Le chef d’entreprise serait alors conduit à tenir compte simultanément du point de vue du conseil d’administration, représentant les actionnaires, et de celui du conseil d’entreprise, représentant les travailleurs. Le débat qui s’ensuivrait aurait pour effet de donner une dimension démocratique, dont elle est aujourd’hui à peu près dépourvue, à la vie de l’entreprise. Il est même permis de penser qu’il y a urgence : la lutte contre le réchauffement climatique et les désordres écologiques exigent
que l’entreprise cesse d’être dominée par des objectifs de rentabilité à plus ou moins court terme et qu’elle prenne en compte des finalités beaucoup plus larges.

Mis en ligne le 3 mars 2018