Jean-Philippe militant ancien déjà de l’Économie sociale – il a été secrétaire général puis président du collège coopératif, puis conseiller à la délégation interministérielle

Jean-Philippe Milesy : l’entreprise à mission n’est-elle pas qu’une construction abstraite ?

J’adhère à une entreprise de ce type-là. Mais la distinction entre actionnaires et propriétaires n’est pas réelle dans les faits. La réalité de la propriété est celle des actionnaires. On peut dire que l’actionnaire n’est pas propriétaire car il est fondu dans une personne morale etc., mais dans les faits, il est propriétaire.

Deuxièmement, on parle d’une « entreprise à mission » à un moment où on constate un recul de tous les systèmes de normes et contrôle : le CHSCT ; les architectes de bâtiments de France ; les reculs de normes industrielles, voir la loi issue des Etats généraux de l’alimentation (Loi EGA), et un recul du signalement… On revient au départ, où les rapports RSE émanaient de la communication des entreprises. La financiarisation rend les entreprises de plus en plus insupportables alors on tient ce discours (Rapport Notat/Senard) et on désagrège toutes les procédures de contrôle et de normes. On supprime l’intervention des salariés. Enfin, la présence d’administrateurs salariés n’a jamais empêché le « diesel-gate » et les délocalisations d’une partie de la production vers l’Europe de l’Est.

Le raisonnement est parfait, mais quels éléments peuvent aujourd’hui lui donner une crédibilité ?

Kevin Levillain : « Il faut aller vers un vrai droit de l’entreprise »

Kevin Levillain est doctorant au Centre de Gestion Scientifique, MINES ParisTech, PSL Research University. Ses recherches portent sur la gouvernance des entreprises et des collectifs innovants, en particulier des entreprises organisant leur gouvernance autour d’une « mission ». Il travaille notamment sur la conception de statuts pour les entreprises innovantes en s’appuyant sur l’étude de nouvelles formes de sociétés qui sont actuellement introduites en droit dans plusieurs pays

Dans absolu, il faudrait une forme de coopérative à mission. Cependant, la coopérative ne prend pas forcément en compte l’impact de ses activités sur le monde extérieur. Certaines se sont engouffrées dans la crise des « subprimes ». La norme de constitution qui pourrait régir la constitution de coopératives ne suffira pas.

La non-reconnaissance de la différence entre actionnaires et propriétaires reste le problème fondamental. Dans une entreprise non cotée, avec un actionnaire majoritaire ou un actionnaire de contrôle, la forme de société à mission ne sera pas une réponse suffisante. Si l’actionnaire est majoritaire, il peut changer les statuts, la mission.

La société à mission n’est qu’un petit pas dans ce modèle-là pour aller vers un vrai droit de l’entreprise qui ne soit plus un droit des sociétés.

Aujourd’hui, le problème vient de la dépendance de l’entreprise vis-à-vis de la société commerciale quand elle est créée. Il faudrait un droit des entreprises indépendant de la société commerciale.

Au sujet du recul des normes[1], Armand Hatchuel démontre comment le concept de liberté d’entreprendre  a été sur-interprété sur ce qui est censé faire une norme de gestion collective. Le recul des normes est la conséquence du modèle néo-libéral. Promouvoir une autorité de gouvernance qui donne une nouvelle part aux salariés, la présence d’instances de contrôle externes aux actionnaires et aux dirigeants, la promotion de normes de responsabilités sociales et environnementales, (on participe en ce moment à un mouvement d’entreprises à mission qui a pour objectif de construire des normes et des standards au-delà du droit, il est vraisemblable que la loi Pacte ne consacre pas l’essentiel des contrôles qui seraient nécessaires)… A nous d’inventer les normes qui feront les bonnes pratiques.

La société à mission n’est qu’un petit pas dans ce modèle-là pour aller vers un vrai droit de l’entreprise qui ne soit plus un droit des sociétés

Notes

[1] Un livre va sortir en Octobre 2018 à partir des travaux des Bernardins

Mis en ligne le 18 octobre 2018