La France est allée plus loin que d’autres pays européens dans son désintérêt pour son industrie. La valeur ajoutée de l’industrie dans notre PIB n’est plus que de 12  %. En Allemagne, elle est de l’ordre de 20  % (Chine : 40  %). Dans certains milieux, notamment au sein de la direction du ministère des Finances, ce choix est réfléchi. Le crédit compétitivité, par exemple, n’est pas un choix pro industrie.

Pourquoi l’industrie est-elle importante pour la France ?

L’industrie créée des emplois, souvent mieux rémunérés que les emplois de service, et entraîne énormément d’emplois associés : maintenance et services associés avec un effet multiplicateur important. L’industrie a donc un rôle d’entrainement considérable sur le territoire. Plus important que les services. À effectif égal, une usine induit un effet plus important sur le territoire qu’un siège de compagnie d’assurances. Cette réalité se traduit d’ailleurs dans la carte de votes protestataires. Elle se calque exactement sur la carte de la désindustrialisation (en particulier le Nord et l’Est).

Notre commerce extérieur dépend essentiellement de l’industrie et de l’énergie, à la différence des Anglais ou des Indiens dont le commerce extérieur est fort  aujourd’hui  dans les services.

Certains pays ont fait politiquement un arbitrage en faveur de l’industrie : la Chine, le Japon, l’Allemagne, la Corée, ainsi que la Suisse et la Suède.

Ces pays possèdent certains  traits comparables.

Premier point, ce sont des pays mercantilistes, qui développent un axe politique consistant à favoriser leurs exportations.

Ils affichent donc un solde positif du commerce extérieur. La France n’a pas ce solde positif et elle n’est pas contrainte de le faire parce qu’elle est dans l’euro. Le déficit français est de facto payé par l’Allemagne qui y trouve d’ailleurs un intérêt. Nous avons accepté une spécialisation européenne sans en mesurer les conséquences.

Nous sommes interconnectés avec l’Allemagne en privilégiant une spécialité de services, laissant à Berlin la suprématie industrielle, sauf dans de rares filières comme l’aéronautique, le militaire, le luxe et l’agroalimentaire haut de gamme.

Ces pays sont mercantiles avec un objectif nationaliste. Ils ne veulent pas dépendre de l’étranger pour mener leur politique.

Pour nous, les conséquences sont importantes.

Ainsi, il a fallu financer, avec des gages de bon comportement vis-à-vis des marchés financiers sur le plan international, l’accumulation des déficits budgétaires français. On peut dater cela du ministère de Pierre Bérégovoy (1984). Le dispositif des participations croisées du président Chirac, qui a suivi les nationalisations (1986), nous a permis d’éviter la contrainte des marchés financiers et de prendre des risques exceptionnels pour bâtir des positions de leaders. Une politique mal vue des marchés financiers. Cette période des participations croisées se solda par un bilan positif pour notre pays.

Il existe clairement une corrélation entre l’accumulation de la dette française et l’exigence des gages de bonne gouvernance à l’anglo-saxonne. Cette croissance de la dette influence les règles de l’AMF et la direction du Trésor. Ces entités sont garantes d’un type de gouvernance libérale financière en opposition au modèle industriel commercial (modèle rhénan).

La question qui nous est dès lors posée est : quel modèle voulons-nous ?

La France a pris un certain nombre de mesures qui penchent vers le modèle rhénan, mais elle reste, malgré tout, dans le modèle libéral financier.

Deuxième point, ces pays ont tous la certitude, et c’est automatique quand on choisit l’industrie, qu’il faut des personnels très qualifiés dans un secteur industriel, mais difficiles à reclasser.

Il existe des modèles où il est indispensable d’associer capital et travail, et des modèles dans lesquels le travail domine le capital : super informaticiens, avocats d’affaires, banquier d’affaires … Ces professionnels passent d’une société à l’autre et leur réputation dans le milieu leur sert de sésame. En revanche, certaines sociétés de services emploient des personnes très peu qualifiées privilégiant ainsi le capital.

Le Code du travail ne fait pas de distinction entre ces trois modèles. Il est fondé sur le premier modèle et est inadapté vis-à-vis des deux autres. Ce hiatus démontre l’intérêt de règles plus spécifiques au métier pour gérer une part importante des rapports sociaux.

En Chine, comme au Japon, le dialogue social est très important, à cause des valeurs confucéennes qui influent sur les relations entre le gestionnaire de l’entreprise et le personnel. « J’obéis au chef, mais le chef doit s’occuper de moi ». C’est une relation fondamentale des sociétés asiatiques. Le dialogue social imprègne une partie du monde asiatique. Ce n’est pas un hasard si les pays qui marchent bien perpétuent ce type de gouvernance qui inspire, d’ailleurs, totalement le gouvernement de Singapour. Mais ce n’est pas la démocratie.

Le troisième point, ces pays entretiennent la croyance absolue dans le rôle essentiel  de l’innovation et de la R&D.

En revanche, un pays  qui comme le nôtre, met beaucoup de sociétés en LBO est une société qui ne favorise ni l’innovation et le développement technologique mais au contraire une rentabilité financière à courte vue. Le LBO qui vise une sur-rentabilité pour les banquiers et les investisseurs et l’acceptation du fast-trading, sont  un détournement complet. Ils vont à l’encontre d’une bonne politique économique.

Les pays pro-industrie favorisent l’actionnariat de long terme. Dans le dialogue social allemand, c’est la cogestion avec une présence très forte des représentants des salariés dans les conseils d’administration où la moitié des syndicalistes vient de l’entreprise,  l’autre moitié vient de la branche.

J’avais d’ailleurs recommandé la présence au conseil d’administration de 4 représentants des salariés dont un cadre. Je voulais y compter  un représentant de la centrale syndicale la plus représentative dans l’entreprise.

Pourquoi ? Parce que les centrales syndicales n’ont pas assez  la connaissance de toutes les mutations internationales et qu’en siégeant dans les CA, elles pourraient acquérir une meilleure connaissance  des problématiques des  stratégies  internationales des firmes. Ce qui les amènerait à développer des réflexions différentes. Ainsi, je suis assez favorable à l’inversion des normes parce que les responsables syndicaux pourraient bénéficier d’une connaissance plus intime des enjeux de l’entreprise au moment de décider de leurs actions.

« je suis assez favorable à l’inversion des normes parce que les responsables syndicaux pourraient bénéficier d’une connaissance plus intime des enjeux de l’entreprise au moment de décider de leurs actions. »

Le grand basculement des lois Auroux (1982) a entrainé auprès des syndicats la présence d’experts qui rendent des rapports remarquables (Secafi/Alpha). Et la CGT, grâce à ces rapports exemplaires, pourrait avoir une connaissance complète de l’économie française et de l’industrie française. C’est la meilleure source de renseignements.

Aujourd’hui, les stratégies à mettre en œuvre dans le domaine de l’innovation reposent sur la mise en place des plateformes internet, la mise en œuvre de la technologie au sens large et la mise en œuvre de l’industrie 4.0. Les quatre technologies importantes dans l’industrie 4.0 sont : l’usine virtuelle qui permet la simulation, c’est-à-dire d’évaluer les transformations avant de  passer par l’épreuve du terrain ; le contrôle complet intégré par ordinateur de la gestion de l’usine, en supprimant les stocks intermédiaires et en maximisant l’utilisation du capital investi ; les cobots, robots intelligents, qui vont permettre d’automatiser plus intelligemment   ; les objets connectés avec la fourniture de services associés à partir des données recueillies auprès du client par les objets eux-mêmes.

Les usines conçues ainsi auront beaucoup moins de personnel et le coût salarial aura  moins de poids dans le coût de production. La France produira avec des salaires élevés, mais avec énormément de services associés. Les salariés des unités de production auront une haute qualification.

L’évolution technologique va dans le sens de la ré-industrialisation de la France. Il faut par ailleurs favoriser l’actionnariat à long terme.

Premièrement : favoriser le droit de vote double ; deuxièmement : il faudrait élargir le décret Montebourg (sur les investissements stratégiques, en 2005) et affiner encore le contrôle de l’investissement étranger ;  troisièmement : favoriser les fondations d’entreprise et faire en sorte qu’une partie du capital soit détenue par des fondations comme en Allemagne (imaginer un régime fiscal ad hoc) ; quatrièmement : mettre en œuvre l’actionnariat salarié ; cinquièmement : introduire, lors des OPA, la consultation du comité d’entreprise en décalquant la loi néerlandaise (eurocomptatible). C’est un obstacle considérable aux OPA hostiles.

Un pouvoir accru serait donc redonné au conseil d’administration, lieu de concertation entre les représentants de l’actionnaire, des travailleurs et de la direction de l’entreprise, par opposition à un pouvoir total donné à l’assemblée générale. C’est d’ailleurs la différence entre les deux modèles. Dans un premier cas l’actionnaire est tout-puissant. (modèle anglo-saxon), dans le second cas, on considère l’entreprise comme une institution avec son histoire, ses rapports sociaux et qui, par conséquent, a un intérêt social propre à l’entreprise à défendre et qui dépasse le simple intérêt actionnarial.

Il faut aussi un énorme effort pour la recherche,  notamment en R&D, au besoin appuyé par l’État, notamment dans l’intelligence artificielle…

C’est donc d’un effort technologique et d’un effort de gouvernance que pourrait naître à mes yeux le renouveau industriel.

Mis en ligne le 3 mars 2018