L’économie sociale et solidaire (ESS) est doublement définie par sa loi de 2014 comme « un mode d’entreprendre et de développement économique valable pour tout secteur d’activité ». Nous proposons une lecture de cette définition qui montre les conditions sous lesquelles l’ESS est porteuse, en tant que nouvelle économie politique des communs, d’une alternative au néolibéralisme actuel. Hervé Defalvard, responsable de la chaire d’économie sociale et solidaire à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée, Maître de conférences en Economie, auteur de « La révolution de l’économie (en dix leçons) », nous  a livré son analyse au cours d’un petit-déjeuner organisé par LEA le 19 avril 2018. Un débat s’engage.

Jean-Luc Molins : Ethique professionnelle et sens du travail

Vous écrivez, « l’intérêt n’est pas la seule raison d’agir ». Cette affirmation est confirmée par nos baromètres annuels sur l’état d’esprit des cadres et professions intermédiaires où l’on constate l’importance des problèmes liés à l’éthique professionnelle et au sens du travail. La confrontation à des problèmes éthiques dans le cadre de l’exercice professionnel est majoritaire  (55 %). C’est pourquoi nous demandons un droit d’alerte pour refuser de mettre en œuvre une directive contraire à l’éthique. Ce qui nous permet d’agir syndicalement.

L’économie est-elle une science (naturelle) exacte ? Il existe différentes écoles et chacun argumente en fonction de la façon où il voit les choses. Il existe pour Eloi Laurent[1] une transition sociale/écologique. Il considère que les territoires sont le centre de gravité pour construire cette transition sociale écologique.

En ce qui concerne la révolution numérique, dans son aspect anthropologique, c’est un outil pour mettre en commun les savoirs. Détenir le savoir, c’est détenir le pouvoir. La question qui se pose est l’appropriation démocratique du numérique.

Votre réflexion sur la valeur ajoutée me semble vraiment intéressante. Comment arriver à dépasser la logique de profit ?

En ce qui concerne l’économie collaborative, l’approche d’Anne-Marie Dujarier[2] fait la distinction entre économie marchande et non marchande, du lucratif et du non lucratif. Sa réflexion rejoint la réflexion sur la sortie de la logique du profit pour passer sur la logique de valeur ajoutée.

 

 Jean-Philippe Milesy : La loi Pacte : un effet de communication

 

Je suis tout à fait d’accord sur l’élévation nécessaire de la conscience. Les choses ne peuvent pas continuer dans ce sens, chez les cadres et les salariés. C’était l’objectif du rapport confié à Jean-Dominique Senard et Nicole Notat. Le dernier discours de Bruno Lemaire a refermé le débat ouvert par ce rapport. Il le réduit quasiment à néant et il précise que de toutes façons cette éventualité est optionnelle.  C’est un rapport d’inspiration totalement patronale car J.D. Sénard et N.Notta représentent tous deux le CAC 40. On sait très bien que la tendance des entreprises est au pillage financier. Les logiques financières vont au-delà des logiques productives. De plus en plus d’entreprises s’endettent pour pouvoir verser des dividendes à leurs actionnaires.  Des entreprises très modernes ont été récupérées par des fonds de pension et ont été amenées à s’endetter pour verser des dividendes. Nous ne sommes plus dans la répartition de la plus-value, des résultats. Mais dans le pillage. Ce sont les tendances dominantes du capitalisme.

Tout ce qui est dans le Pacte et dans le rapport est du « rapetassage ». C’est un effet de communication.

De nouvelles formes mutualistes et coopératives

Où en sont les grandes sociétés de l’économie sociale et solidaire ? Nous avons besoin d’une redéfinition du périmètre utile car beaucoup d’entre elles sont entrées dans un cycle de banalisation, voire de financiarisation accélérée. Elles alimentent la confusion qui a existé dans l’analyse des textes, pendant l’écriture d’un rapport qui s’extasie puisque l’économie sociale et solidaire va imprégner le capitalisme moderne. L’ESS aurait gagné car ses principes auraient triomphé. Or les principes de l’ESS ne se résument pas au dialogue social. Son principe fondamental reste la propriété collective. Certaines y échappent par la filialisation où le croisement avec d’autres types d’économie. Les principes de l’ESS, c’est aussi la démocratie et la solidarité. Et donc la non-lucrativité.

Les principes de l’ESS ne se résument pas au dialogue social. Son principe fondamental reste la propriété collective

L’ESS n’a pas su résister à une banalisation introduite à travers la notion d’entreprenariat social qui se substitue de plus en plus à l’ESS par la loi du 31 juillet 2014. Elle n’a pas su résister sur ces 3 principes : la démocratie, la propriété collective, la solidarité.

Nous restons sur une définition de l’ESS actuellement à travers ses formes instituées et ses formes traditionnelles.

En revanche, il existe des formes nouvelles mutualistes et coopératives de l’ESS en réponse, par exemple, à la désalarisation subie (auto-entrepreneuriat, économie de plateforme…). Ces formes innovantes sont des réponses modernes aux effets du capitalisme financier. On trouve de nouvelles expériences dans la nouvelle pensée anarchiste américaine. Nous avons peut-être là l’amorce de réponses collectives, démocratiques et solidaires.

 

Jean-Claude Tufferi : ESS, services publics et biens communs

Je constate le manque de visibilité de l’ESS ou plutôt de l’affirmation de ce qu’elle devrait être. On nous situe proches d’associations caritatives ou d’assistanat. Ce n’est pas vrai pour tout le monde. Les associations « zéro chômeur » ou ATD Quart-Monde, appartiennent-elles à l’ESS ou au domaine du caritatif ou de l’assistanat ?

Nous devons avoir ces débats pour définir la place et le rôle de l’ESS. L’ESS ne se substitue-t-elle pas au rôle des services publics pour pallier la situation de l’emploi ? Le  service public reste pour moi le plus grand des communs.

On nous dit souvent qu’on n’est pas capitaliste, mais qu’on gère comme des capitalistes. Il existe des conflits dans le domaine de l’ESS comme à la Macif en ce moment. C’est aussi le cas du Crédit Mutuel qui se vante d’être un grand défenseur de l’ESS. Le CM affirme : « On est propriétaire de sa banque ». OK mais ils ont racheté de nombreux journaux régionaux. Est-ce son rôle ?

L’ESS ne se substitue-t-elle pas au rôle des services publics pour pallier la situation de l’emploi ?

La question de la propriété doit rester un débat important car la propriété pose la question du partage de la valeur ajoutée. Par exemple, on a cité les Fralib et les Jeannette. Chez Fralib les salariés sont propriétaires de l’entreprise. Chez Jeannette, c’est un investisseur qui a mis des capitaux dans  l’entreprise qui n’est pas la propriété des salariés. Pas du tout le même cas que les Fralib. Les deux expériences sont intéressantes. Je ne dis pas qu’il faut en condamner une. Il faut voir au fil du temps leur évolution pour en tirer les enseignements.

Nous sommes aussi différents dans notre rapport avec les IRP. On ne peut pas les envisager comme dans une entreprise capitaliste ou alors, il n’y a aucun intérêt de se dire de l’ESS.

C’est ce qui fait la différence entre ESS et entreprise capitaliste.

 

Marthe Corpet : Redéfinir l’entreprise et le commun dans la production ?

Le terme de la richesse et de l’appropriation de la richesse ne ressort pratiquement pas dans cette présentation. On parle de l’appropriation de l’entreprise mais pour moi, il y a une vision plus globale qui sous-tend le bien commun et l’intérêt général, c’est l’appropriation et la redistribution des richesses. Cette appropriation des richesses et de l’outil productif est centrale dans les analyses de Marx, dans toutes les théories alternatives, voire même dans la théorie de la régulation.

Pour moi, il y a incompatibilité entre entreprise, bien commun et intérêt général. Si on commence à mimer (ndlr : l’entreprise capitaliste) avec des entreprises à mission, c’est comme si l’intérêt collectif avait besoin d’être écrit dans un texte de loi alors qu’il est déjà dans notre constitution. Tous les acteurs, personnalités morales ou acteurs-citoyens doivent respecter cet intérêt-là. Il ne faut pas s’interroger sur la limite entre intérêt particulier et intérêt général. La vraie question est : comment invente-t-on un nouveau modèle qui nous permet de produire ensemble ? Nous devons redéfinir l’entreprise et le commun dans la production.

Nous voyons émerger de nouveaux modèles de production, qui se revendiquent comme alternatifs, qui essaient de sortir des cadres théoriques qui ont été fixés auparavant. Ils utilisent le dépassement des modèles de protection collective pour créer une individualisation totale des rapports de travail. Je pense aux grandes plateformes numériques, aux GAFA ou encore à Deliveroo…

Sous prétexte de rendre de sa liberté au salariat, de recréer une nouvelle relation de travail, on impose un seul modèle : l’individualisation des rapports de travail, la limitation des protections collectives. La Poste a aussi créé Stuart, sa start up de l’ESS, qui reprend les mêmes modèles que Deliveroo.

La loi Pacte entretient cette confusion qui ne permet pas de poser les bons débats. Comment fait-on évoluer l’entreprise ?

Le cloisonnement des multinationales

Ma deuxième remarque touche aux multinationales, aux GAFA, qui s’approprient des terres au moyen de filiales ou de sous-traitants. Ils s’approprient des territoires donc des richesses durables. On le voit en Inde avec Michelin, au Cameroun avec Bolloré et jusque dans les forêts françaises, par l’appropriation des terres par des entreprises chinoises. On peut parler d’une vraie stratégie de l’appropriation de la richesse durable. Les entreprises investissent dans la terre parce que les flux financiers ne sont pas aussi fiables.

Comment décloisonner l’entreprise multinationale, la société mère et sa filialisation sans oublier tout ce qui est participation ? Les accords-cadres internationaux signés ne touchent pas la sous-traitance. Ils ne touchent pas les stratégies de contournement qui sont mises en place par les multinationales. Seule la dernière loi sur le devoir de vigilance pose l’intérêt commun comme une responsabilité du donneur d’ordres envers le sous-traitant.

Il n’y a donc aucune régulation et le cloisonnement est toujours la règle. Le problème est d’avoir institutionnalisé une rupture entre la vision juridique et la vision économique de la définition de l’entreprise. La loi Pacte ne dit qu’une chose : on va adapter un peu la loi avec la mission d’intérêt général. En réalité, on ne touche pas à la bonne question du rapport entre domination économique et domination juridique. C’est une des clefs de l’analyse de l’évolution du capitalisme et de sa matrice mondialisée.

La propriété et la liberté d’entreprendre restent encore au-dessus du bien commun.

La propriété et la liberté d’entreprendre restent au-dessus du bien commun. La question se pose au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a considéré l’amende comme un élément de sanction trop imprécis pour être mis en œuvre. Il place la liberté d’entreprendre et d’investissement au-dessus des droits humains comme en témoigne la capacité des entreprises -Investor-State Dispute Settlement (ISDS[3])- à attaquer des Etats sur des dispositions législatives. Nous sommes dans une phase où il y a une affirmation de la suprématie de l’intérêt commercial sur les droits humains. La société civile tente de renverser cela avec le droit sur le devoir de vigilance. Tenter de prendre la porte d’entrée du Conseil constitutionnel semble une bonne stratégie.

La propriété et la liberté d’entreprendre restent encore au-dessus du bien commun.

 

 Christophe… : La loi Pacte et le rôle des organisations syndicales

La loi sur l’ESS de 2014 pose un certain nombre de questions, mais le diable est dans les détails. Nous n’avons pas été assez vigilants sur la définition de l’entreprise sociale et sur la déviance qui se met en place, qui a pour nom « french impact ». Il ne suffit plus de dire qu’une entreprise appartient à l’ESS par ses statuts,  mais par l’objet social sur lequel elle travaille. Cet objet social peut permettre à une entreprise de bénéficier d’outils et d’avantages. Le gouvernement va très loin car, au-delà de quelques associations qui sont pleinement dans l’économie sociale, de nombreuses entreprises individuelles feront semblant de s’intéresser à la participation pour se lancer avec un budget qui s’établit à 1 milliard sur 5 ans, à l’heure où les fonds publics sont rares.

On est en train de déformer l’économie sociale. Il faut être vigilant.

Sur la loi Pacte nous avons dit un certain nombre de choses et je voudrai rajouter un élément. Si l’entreprise définit l’intérêt général et que la négociation ne se déroule qu’au niveau de l’entreprise où est la République ? L’Etat ?

Il ne suffit plus de dire qu’une entreprise appartient à l’ESS par ses statuts, mais par l’objet social sur lequel elle travaille.

Accessoirement, il n’y a plus de confédération syndicale. Tous les moyens resteront au niveau de l’entreprise. Comment va vivre la confédération ? Quelle légitimité aura-t-on pour défendre l’intérêt des salariés au niveau interprofessionnel ? La négociation sur la formation professionnelle aujourd’hui est un camouflet pour toutes des confédérations.

Sur les biens communs, on s’achemine vers une logique anglo-saxonne qui s’oppose à la logique républicaine. Pour moi une bibliothèque municipale est un service public ; une forêt domaniale n’est pas un bien commun, c’est aussi du service public, ça nous appartient. Nous le finançons avec l’impôt, un musée n’est pas non plus un bien commun, l appartient à nous citoyens qui payons l’impôt. Ce sont deux logiques tout à fait différentes.

On risque de sortir de l’intérêt général et du pacte républicain qui fait qu’avec nos différences, on accepte un certain nombre de règles pour vivre ensemble. Je suis très gêné par cette notion de « communs » qui est très populaire. C’est une dérive de l’idéal républicain..

 Pierre Gros : ESS, mutuelles, parties prenantes, clients et  sociétaires

La question que je pose est la participation et la compréhension des parties prenantes dans une entreprise de l’ESS. Il y a les salariés, les usagers, les sociétaires. Quel est le niveau de conscience des adhérents ? Quand un sociétaire pousse pour la première fois la porte d’un point d’accueil Macif, c’est un client. Mais il faut qu’il comprenne qu’il rentre dans une entreprise qui n’est pas comme les autres et qu’il en est partie prenante. Quelle est sa conscience de participer et de pouvoir transformer l’entreprise ? Aux dernières élections, on notait  15 % de participation. Ce constat concerne l’ensemble des organisations mutualistes où la participation se situe entre 10 et 15 %. Il existe une vraie problématique de réappropriation par les adhérents et les sociétaires.

Quant à la question des communs, on assiste aujourd’hui à la spoliation, par certaines entreprises mutualistes, des communs mutualistes. On avait mis en place à la Mutualité française des unions territoriales de qualité qui devaient gérer les services de soins et d’accompagnement, un bien commun mutualiste, sur un territoire. Aujourd’hui, on voit des entreprises mutualistes qui s’approprient, qui spolient, ce bien commun pour leur propre compte. Le mouvement mutualiste doit s’interroger sur la manière de faire évoluer les choses. Les mutualistes, c’est 42 millions d’adhérents dans le cadre d’une complémentaire santé. Il faut que les adhérents se réapproprient ces biens communs. Avec une difficulté de compréhension sur le cycle inversé de production. Parce qu’on n’achète pas un bien, mais qu’on se couvre pour un éventuel accident.

Je suis intéressé par les questions « d’entreprendre pour les solidarités. Comment être aussi acteur et partie prenante, dans les territoires pour pouvoir accompagner des entreprises qui entreprennent pour les solidarités ? La Macif compte 5 millions de sociétaires et 10 000 salariés. Aujourd’hui, la Macif est un peu moins sur les territoires. D’autres grandes entreprises du secteur peuvent aussi accompagner la reprise du bien commun sur les territoires.

 

David Huynh : Faire revivre la démocratie

Le Conseil constitutionnel réfléchit sur les limites du droit de propriété. Il a estimé qu’il n’était pas possible de répondre dans la mesure où la réponse était liée à la conception qu’avait la société des limites de la propriété. Le droit est un élément qui fige les rapports sociaux et qui est par nature conservateur.

La définition de l’ESS est polluée par l’introduction de l’entrepreneuriat social. Or l’ESS est constitué de 3 éléments : le projet de l’entreprise, son projet politique ; les pratiques et sa conformité avec le projet ; les statuts qui lui donnent sa dimension démocratique.

Le droit est un élément qui fige les rapports sociaux et qui est par nature conservateur.

Comment faire vivre la démocratie dans des organisations de plusieurs millions de personnes ? On ne peut plus avoir une démocratie intermittente où le vote s’exprime à un instant «  » par le vote annuel. Le processus doit être continu et, dans ce cas, le numérique peut être favorable (ou non) car il crée un lien entre les personnes sur un territoire. L’environnement politique, réglementaire, juridique pousse à la recherche de la taille. On cherche à avoir des mastodontes, nationaux, européens, voire internationaux, ce qui revient à couper ces organisations de la base démocratique. On a besoin d’un effort croissant pour faire revivre la démocratie. Je ne crois pas que l’ESS soit condamnée à être une PME sur une vallée perdue.

On parle aussi dans l’ESS de « mettre le client au centre ». C’est les réduire à une relation marchande. L’enjeu de départ étant de faire évoluer la conscience politique et sociale. On parle aussi d’ADN de l’entreprise : «  nous on est génétiquement purs » !

Jean-François Bolzinger : L’ESS et les organisations syndicales

La recherche de sens d’éthique, d’intérêt général, conforte la filiation entre les coopératives et l’ESS. Au niveau syndical, on demande des droits à intervenir dans les orientations stratégiques, y compris dans les multinationales. Il y a des aspirations de plus en plus fortes à intervenir sur tout ce qui nous concerne, y compris la gestion, la stratégie pour peser sur la finalité, la manière de produire des richesses aussi, ses aspects écologiques. C’est une dynamique forte dans la société. Après on s’affronte à cette question des 1 % (ndlr : détenteurs des richesses). Ce n’est pas la minorité des 1 % qui a le savoir. Le « Savoir » est dans les 99 % qui restent de par l’évolution des forces productives auquel on est arrivé. En revanche  « l’Avoir » est cantonné dans quelques mains.

On ne va pas remplacer l’économie capitaliste par l’ESS. Dans un processus de transformation, à défaut de grand soir, il peut y avoir des petits jours si on arrive à raccorder l’économie et le juridique au sens où le disait Marthe, il y a des points d’ancrage importants. Réancrer les territoires avec la mobilité des capitaux. Il y a des points durs à gagner alors qu’on les perd. Mais on perd sur des conceptions y compris anciennes. Il faut redynamiser l’ESS. S’appuyer sur les communs peut être un outil. Tout dépend de ce qu’on y met. Le service public aussi. Il faut remettre un contenu un service d’intérêt général.

Droit à la propriété et droit d’usage ? Cette question mérite d’être travaillée. Pour les nationalisations de 1982, la propriété a changé,  mais les salariés n’ont rien vu en termes de contenu et de vie. Ensuite, pour les travailleurs, les nationalisations n’ont plus eu de signification.

Aujourd’hui, quand un capitaliste démarre une boîte, il va demander de l’argent à sa banque etc. Le capital est amorti très rapidement, l’affaire est réglée en trois ans. Le droit d’usage dépasse le capital à un moment donné. Pourquoi est-ce une propriété intangible ? Il y a une réflexion révolutionnaire à pousser dans une logique transformatrice.

Le numérique est complètement ambivalent. Il peut y avoir des logiques de communs comme la logique des GAFA qui domine actuellement. Tout le monde est très observateur sauf le capital. Le syndicalisme a un vrai souci.

 

Jean-Philippe Milesy : Loi Pacte et droit des travailleurs

On ne peut que confirmer les remarques sur le changement de paradigme, le droit des affaires. Le droit commercial domine le droit des gens. On le voit très bien dans l’actuelle loi sur le secret des affaires qui ne vient pas protéger la production, mais toute information qui pourrait jouer sur le cours en bourse.  La valeur boursière est prédominante. Le livre de Michel Feher à la Découverte « Le temps désinvesti » pose la question sociale sous l’éclairage de cette nouvelle dimension qu’est l’accréditation financière. Il pose aussi très bien la question de la RSE qui vient des Etats-Unis, qui n’est pas un Etat interventionniste, où les entreprises sont, elles-mêmes, juges et parties dans l’instauration des normes sociales. Un désinvestissement public sur toute une série de sujets montre la cohérence de la centralité de l’entreprise déportée de son rôle de production.

Quand on voit ces changements de paradigmes, on peut s’interroger légitimement sur cette agitation. La loi Pacte revient sur la loi du 31 juillet 2014, en supprimant ce qui pouvait rester du droit d’information préalable des salariés.

On continue d’écorner le droit des travailleurs notamment ceux de l’ESS. Ce droit d’information permettait aux salariés de préparer des dossiers pour des reprises en scop ou d’autres formes. Il va sauter purement et simplement. Le Medef doit trouver ce droit trop « stressant ».

Rebonds Hervé Defalvard

La question écologique sera un moteur important`

 

 

Je grouperai la question de la loi Pacte et de la propriété avec la question du droit. Fralib et Jeannette sont deux cas différents, même si la lutte est relativement semblable et si la question du territoire a été consubstantielle aux luttes. Du point du partage de la valeur ajoutée, ce n’est pas satisfaisant. Si l’un possède et l’autre pas comment fait-on ?

Dans notre projet de loi d’expérimentation de nouveaux droits pour les territoires, la formule actuelle qui a notre préférence c’est la SIC (société d’intérêt collectif) qui permet la forme collective de la propriété. Le droit actuel a été écrit par les économistes libéraux et ne reconnaît que les intérêts privés.

Cependant, la loi Pacte devient un sujet, elle sort la question autour de l’écologie. On peut projeter des changements radicaux parce que les occupations imposent de rebattre les cartes. La question écologique sera un moteur important de ces occupations qui demanderont d’instituer de nouveaux droits, dont celui de la propriété.

Au Larzac, l’Etat est toujours propriétaire des terres qu’il avait acheté pour faire le camp militaire. Mais c’est un bail emphytéotique. Il porte un amendement de révision de la constitution par rapport à sa conception de la propriété. Il a remarqué qu’un certain nombre de dispositifs législatifs ont été cassés en Conseil constitutionnel à cause de la conception de la propriété et de liberté d’entreprendre qui en découle. Il a parlé de conception totalitaire de la propriété. C’est une révision qui permettrait d’introduire les communs dans notre constitution. Dans notre Code civil, la propriété reste le droit d’absolue jouissance.

Communs et intérêt général.

L’entreprise ne peut pas être le pivot de l’intérêt général. Marx l’a dit avec ses arguments : l’entreprise n’est pas la société, de même que la famille n’est pas la société. Je suis d’accord sur le fait qu’une forêt domaniale n’est pas un commun. Mais il y avait des sections communes. Pour la forêt de Koad, le collectif a vendu des actions citoyennes pour se réapproprier le lieu qui est une forêt domaniale, mais permet l’exploitation capitaliste. Ils sont construits une œuvre d’art que l’ONF leur a demandé d’enlever. Un communiqué du 1e janvier 2018 indique à l’ONF que cette forêt n’est plus une forêt domaniale. Elle est devenue un commun. Je ne suis pas pour considérer que tout doit devenir des communs. Mais il faut bien marquer la différence par exemple, l’école n’est pas un commun, c’est un service public. Il n’y a pas de demande sociale pour faire de l’école un commun. Mais on n’est pas forcément d’accord avec l’ordre républicain tel qu’il se pense.

[1] Economiste, conseiller scientifique à l’OFCE, maître de conférences à Sciences-Po

[2] Marie-Anne Dujarier est sociologue du travail, professeure à l’Université Paris 7

[3] Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États,

 

Mis en ligne le 30 octobre 2018