LEA : Comment définissez-vous Coopaname, une entreprise, une entreprise alternative, une scop, une plateforme ?

Vincent Kadi : Coopaname est une scop créée en 2004. Société de personnes et non de capitaux, elle pratique la démocratie économique, selon le principe une personne, une voix. Elle est régie par des règles de solidarité, de répartition équitable des résultats et de responsabilité envers la communauté.

Les adhérents ont fait le choix, plutôt que de créer leur entreprise, de créer leur activité économique au sein d’une entreprise partagée, dont ils se salarient en CDI et qu’ils gèrent ensemble de façon démocratique. Notre coopérative est un outil de travail en partage : nous partageons les résultats, comme les risques.

Il y a un enjeu économique, bien entendu, mais aussi une ambition politique forte. Si les « coopanamiens » cherchent à réunir les conditions pour bien faire leur travail et en vivre dignement, la coopérative s’attache à créer des mécanismes de protection et de solidarité. L’enjeu est aussi de promouvoir la citoyenneté politique - pourquoi la démocratie s’arrête-t-elle aux portes des entreprises ? - mais aussi, dans un contexte d’ubérisation de l’économie, de montrer qu’il est possible et souhaitable de faire de l’économie autrement, de souligner les effets pernicieux des plateformes du type Uber ou encore Airbnb.

Coopaname réunit donc près de 850 professionnels de tous métiers qui mettent en commun des ressources pour se doter de mécanismes de protection et de solidarité.  La structure permet à chacun d’accéder à des espaces de travail, à des agréments, habilitations ou assurances spécifiques pour lancer une activité. La protection se traduit aujourd’hui par des mécanismes qui permettent, par exemple, d’avancer de la trésorerie ou des capacités d’investissement. Elle donne aussi accès à un pôle de ressources de compétences. Les attentes des professionnels de la coopérative : réunir les conditions pour bien faire leur travail.

Tandis que d’autres acteurs centrent leur projet sur les prestations, Coopaname affirme un projet politique d’émancipation.

Coopaname est une entreprise partagée parce que son organisation est démocratique et que tout le monde peut participer à cette vie démocratique. Ainsi, il existe  à l’intérieur de la coopérative de nombreuses activités individuelles, mais aussi des d’activités collectives avec des collectifs de métiers, etc.

LEA : Tous les participants à Coopaname sont salariés. Comment est gérée la question du management ? Les processus mis en œuvre peuvent-ils être exportables ailleurs ?

V.K. : Comment animer une structure de la taille de Coopaname, sans avoir recours au lien de subordination, tout en animant des mécanismes de responsabilisation. Ce sujet est au cœur de Coopaname, car la coopérative est confrontée aux risques liés à la responsabilité individuelle et collective. Nous avons développé des modes
de régulations qui répondent à un certain nombre de questions en préservant la confiance, qui est notre actif le plus précieux.

Par exemple, depuis un an et demi, nous avons développé un fonctionnement par comités, réunissant des coopérateurs chargés de se prononcer sur des questions d’engagements financiers ou d’éthique. Ils répondent à des questions comme : jusqu’où pouvons-nous soutenir une activité en déficit ?

LEA : Comment ne pas recourir à des types de mécanismes de régulation qui ne soient pas la subordination ?

V.K. : Notre stratégie pour dépersonnaliser la notion de pouvoir s’appuie sur des fonctions temporaires ( les mandats sociaux sont bénévoles ). Pas plus de 2 mandats successifs ou 2 fois 3 ans maximum. Ce dispositif évite la dérive de la personnalisation de la responsabilité. Le principe de collégialité régit toutes les fonctions à responsabilités, y compris pour la direction assurée par 3 personnes. La présidence est une co-présidence élue au terme d’une élection sans candidat.

Les comités rendent les avis sur les situations litigieuses à la codirection générale qui sauf veto les applique. Il faut éviter de centraliser l’organisation et d’avoir recours à un fonctionnement pyramidal. Coopaname essaie d’élaborer des modes de fonctionnement au fur et à mesure que la coopérative se transforme.
D’autres établissements, comme celui du Mans fonctionne d’une façon différente : tout est autorégulé par les coopérateurs et il n’y a pas de permanents dans la structure.

Il existe donc différents modes de fonctionnement et d’organisation parmi les coopérateurs.

Notre objectif est aussi de développer des outils de gestion à la hauteur de la complexité de l’organisation ( multitude de métiers et de secteurs avec leurs propres règles comptables ) et d’être performant.

Coopaname voit son chiffre d’affaires progresser depuis plusieurs années avec une croissance à deux chiffres. Comment adapter les modes d’organisation à cette évolution ? La croissance génère une complexité qui oblige l’organisation à trouver des réponses, des outils qui lui permettent de tenir de rythme de cette complexification.

LEA : Ne craignez-vous pas un effet de seuil à partir duquel Coopaname ne pourrait ne plus exister dans sa forme actuelle, où des scissions interviendraient ?

V.K. : Aujourd’hui, nous avons besoin de renouveler les outils. Nous avons lancé un projet de financement participatif qui vise à doter Coopaname d’un système d’information qui intègre à la fois un volet de comptabilité et de gestion, mais aussi d’animation de la vie coopérative, de gestion de projets…, de soutien à la coopération qui nous permette d’alléger la charge de travail liée à toutes ces activités.

Avec un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros, Coopaname répond à un vrai besoin. Une partie des professionnels qui nous rejoignent aujourd’hui ont déjà lancé une activité, sont déjà autoentrepreneurs, mais souhaitent s’inscrire dans un projet de coopération. Cette croissance est liée à l’évolution du marché du travail.

LEA : Le modèle de Coopaname est-il exportable ?

V.K. : Les Coopératives d’activité et d’emploi ( CAE ) recouvrent des modèles d’organisation assez différents. Coopaname n’a pas été envisagée comme un espace
de test, mais un engagement d’activité durable comme une entreprise vraiment collective. Ce n’est pas le projet de toutes les CAE.

LEA : Comment se situe Coopaname par rapport à une plateforme numérique ?

V.K. : L’enjeu aujourd’hui est de développer des plateformes coopératives. La création des nouveaux outils vise à construire ces réponses qualitatives : automatiser un certain nombre de processus pour pouvoir assurer une fluidité et une décentralisation de l’organisation, tout en gardant les fondamentaux comme le partage du pouvoir et de la valeur.

LEA : Le modèle économique de Coopaname est-il un exemple de la mutation de l’entreprise ?

V.K.   : Coopaname n’est pas une marque commerciale. Les entrepreneurs n’affichent pas la marque dans leur activité. En revanche, ils peuvent créer leur marque à l’intérieur de Coopaname et il y en a plusieurs comme Relation d’utilité publique (RUP), une agence de relations publiques.

On peut tout à fait dire que Coopaname est une entreprise alternative puisque nous sommes en concurrence avec des entreprises « traditionnelles » et de multiples projets portés par des « coopanamiens » qui, à partir des ressources internes, vont se trouver, de plus en plus, en concurrence avec des entreprises classiques. La question de
la concurrence interne existe aussi, mais on essaie d’éviter la concurrence frontale. En cas d’appel d’offres, des mécanismes internes permettent de concevoir une réponse commune pour porter une offre Coopaname et pas une offre individuelle. Un extranet permet de communiquer sur les offres 
et de les mettre en commun. Pour des solutions communes.

LEA : Pourquoi ne pas envisager une « labellisation » des coopérateurs ?

V.K. : Un des fonctionnements de Coopaname est l’ouverture. Avec un projet réalisable, vous pouvez entrer à Coopaname, à partir du moment où vous déclenchez un chiffre d’affaires, vous pouvez devenir salarié. Il n’existe pas de sélection à l’entrée, sauf sur la faisabilité du projet. Il n’y a pas non plus de sélection sur la qualité professionnelle des coopérateurs.

Au sein de la coopérative, nous disposons d’un certain nombre d’outils communs, comme l’agrément de formation et d’habilitation sur certains marchés. Par exemple : l’évaluation externe dans le secteur social et médicosocial ou l’agrément de formation.

Nous sommes obligés de traiter ces outils comme des communs pour en tirer une valeur collective. Nous définissons un certain nombre de règles, de repères d’accès
et d’utilisation afin de garantir une exploitation durable, car si quelqu’un met en péril ce commun tout le monde perd.

Nous maintenons le principe d’ouverture et de régulation de  l’accès à certains outils de travail sur des conditions de compétences et de respect de certaines pratiques professionnelles : accès au dispositif local d’accompagnement (DLA) et aux outils professionnels. Ce sont les pairs professionnels (collectifs) qui se sont organisés pour la gestion de ces outils qui donneront l’autorisation.

Mis en ligne le 8 janvier 2018