Bruno Gabellieri
Secrétaire Général de l’Association
européenne
des institutions de prévoyance AEIP

 

« Tout est parti de l’aventure d’un petit groupe, le groupe Association européenne des institutions de prévoyance (AEIP), au cours des années 1980, au moment du rapport Gisserot[1] (mars 2007) rapport interministériel commandé à l’Inspection générale des finances sur une harmonisation éventuelle de la protection des assurés pour garantir les engagements sur les risques longs avec des provisions techniques suffisantes, pour tous les acteurs pratiquant la prévoyance.

Institutions paritaires, mutuelles, assurances, état des lieux

Le monde paritaire, comme le monde mutualiste dans les années 1990, fonctionnait sur le mode de la répartition. Il n’y avait pas de provisionnement des engagements. Tout était basé sur la solidarité et les valeurs du non lucratif.

La loi Evin du 31 décembre 1989 aligne les 3 familles d’opérateurs sur les mêmes conditions techniques : assureurs privés SA ou mutuelles d’assurance, mutuelles : code de la mutualité ; institutions de prévoyance : code de la Sécurité sociale.

De notre côté, celui des institutions paritaires, nous avons estimé que si nous avions les mêmes contraintes que les assureurs privés, nous devions bénéficier des mêmes libertés.

Les libertés des assureurs privés provenaient de la « grâce » de directives européennes relatives à l’assurance. Il fallait donc les intégrer. Or la loi Evin réglemente bien l’activité de 3 familles d’assureurs, même si elles ont une origine, une éthique et des buts différents, c’est la même activité d’assurance.

J’ai été chargé de porter le dossier à Bruxelles, « Entrée dans les directives assurances ». Nous nous sommes adressés à la Commission européenne, puis nous au ministère des Affaires sociales, ministère de tutelle de la mutualité et des institutions paritaires. Tout en souscrivant à notre démarche, il nous a signifié qu’il fallait l’élargir à la mutualité. Une coopération, non visible à l’époque, s’est construite, avec le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP), jusqu’au débat devant le Parlement européen.

Cette discrète coopération s’est concrétisée par des amendements portés lors de la discussion des directives de 3E génération au Parlement européen en 1992. Les amendements parlementaires ont été préparés avec le CTIP et la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) et portés par la même députée européenne qui a fait inclure la spécificité française : mutuelles 1945 et institutions de prévoyance en plus des sociétés d’assurance et des mutuelles d’assurance, déjà incluses dans les directives précédentes.

Il y aura un souci majeur de revenus pour les retraités futurs.

Pourquoi avons-nous fait cela ? L ‘AEIP couvrait déjà des multinationales, notamment Sanofi, qui était très demandeur de l’élargissement de la couverture d’assurance de France à l’International. Extension impossible à assurer car nous n’étions pas inclus dans les directives assurances.

Le moteur a été de suivre nos clients à l’international sur les mêmes bases juridiques, morales, d’objectifs de meilleurs services pour leurs entreprises, les salariés et les ayants droit.

Bruxelles a reconnu la validité de notre démarche. Mais nos présidents nous ont fait remarquer que nous ne pouvions pas opérer comme les sociétés d’assurance qui achètent des parts de marché pour développer leur croissance externe. On nous a alors demandé d’identifier, à l’échelle européenne, les autres acteurs paritaires avec lesquels il serait possible de bâtir des coopérations. J’ai eu mandat technique pour effectuer cette recherche.

Des accords bilatéraux de coopérations techniques et politiques ont été conclus à Paris à partir de 1993, entre institutions paritaires françaises, allemandes, italiennes et belges. Et, en 1996, nos partenaires ont souhaité créer une association européenne. Ce qui a été fait. La stratégie européenne est venue ensuite.

La fiscalité n’étant pas harmonisée au plan européen, le PEPP est voué à l’échec

L’Association européenne des institutions paritaires a accueilli favorablement le projet de Produit d’épargne retraite paneuropéen (PEPP), non pas pour son objectif initial qui est de créer un 3e niveau de retraite au niveau paneuropéen sur une base de produits individuels, mais parce qu’il y aura un souci majeur de revenus pour les retraités futurs. Ne pas encourager une épargne longue de 3e pilier, revient à fabriquer une future pauvreté à l’échelle de l’Europe.

Sous cet angle-là, le PEPP a un objectif assez intéressant. Mais la fiscalité n’étant pas harmonisée au plan européen, il est voué à l’échec sur l’objectif, parce que le PEPP n’est pas un régime de retraite et pas non plus un accord collectif. C’est un produit individuel soumis aux règles des marchés. Le marché européen est hypothétique puisqu’on n’a pas réussi à trouver les passerelles qui assurerait une mobilité sans pertes du produit parce que les obstacles fiscaux nationaux perdurent. L’AEIP plaide pour un PEP collectif, qui serait l’objet de négociations entre partenaires sociaux.

Dans le cadre de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP)[2],  j’essaie de développer des outils à destination des partenaires sociaux qui voudront bien s’emparer du sujet, en faire un objet de négociation et essayer de faire passer devant les autorités européennes l’agrément d’un régime en fait européen.

Quelques outils sont disponibles, notamment les traités européens délaissés par les partenaires sociaux : la disposition sur la négociation collective européenne qui existe depuis 1987 et qui n’a jamais été vraiment développée et la nouvelle autorité européenne du travail, qui se préoccupe d’assurer la mobilité des travailleurs au plan européen et la chasse aux pratiques nationales de dumping à l’envers.

Le PEPP est un produit, mais sans fiscalité organisée à l’échelle européenne…On n’aboutira pas à grand ’chose aujourd’hui.

Les règlements européens de coordination de sécurité sociale assurent cette mobilité internationale des droits acquis et la persistance de la portabilité de ces droits dans toute l’Europe.

Nous venons de lancer avec l’appui de la Commission européenne de Bruxelles « the European tracking service », »  : le système européen d’interconnexion des régimes de retraite entre eux du deuxième pilier pour que, quelle que soit la situation d’un salarié en Europe, celui-ci puisse avoir toute sa carrière en ligne en seul clic.

La fiscalité est prérogative nationale

On ne peut pas reprocher à l’Europe de confirmer des arrêts de la Cour de justice basés sur la libre concurrence. Cependant, la Cour européenne a simplement dit à l’Etat français : « les règles françaises ne sont pas conformes au droit européen ». La France, a mis du temps à appliquer les règles européennes.

La mutualité met en avant la spécificité du non lucratif, tout comme les institutions de prévoyance ou fonds de pension, mais nous ne pouvons pas nous défendre à l’échelle européenne car la fiscalité est une prérogative nationale. La France sacrifie au modèle général avec cette question : « Comment faire entrer l’argent dans les caisses ». C’est l’approche de Bercy qui cherche les fonds qui manquent pour financer la dette publique.

Le PEPP n’est pas un régime de retraite et pas non plus un accord collectif

Les grandes entreprises européennes bâtissent des systèmes européens de couverture sociale, notamment dans le domaine des pensions pour harmoniser le système des cadres supérieurs, mais pas uniquement.

L’arrivée de partenaires sociaux

Je voudrais revenir sur la négociation européenne. L’AEPI n’est pas compétente pour être incluse dans une négociation européenne quelconque, mais nous avons eu la surprise d’être sollicités par les partenaires sociaux du secteur de la construction, intéressés par les travaux de l’AEIP.

Avec l’accord du conseil d’administration, qui au départ s’y opposait (sous prétexte que nous faisions de la politique alors que nous sommes un organisme technique), nous sommes invités ex-qualité au Comité du dialogue social. Nous sommes donc là dans les débats politiques entre patronat et syndicats, et je peux dire qu’un certain nombre d’expériences de coopérations entre institutions paritaires passent du bilatéral au multilatéral.

En France, la caisse des congés payés du BTP n’est pas paritaire, elle est patronale. Quand les organismes paritaires allemands, belges, autrichiens… ont décidé de coopérer entre eux, ils ont voulu coopérer avec les Français. Le conseil d’administration de l’AEIP a dérogé aux règles pour admettre une institution patronale non paritaire dans le cénacle paritaire. Aujourd’hui, on débat à l’échelle du secteur de la construction de sujets de politique européenne, qui peuvent déboucher demain sur autre chose que la santé et la sécurité au travail, domaines sur lesquels on avance énormément ou sur la prévention avec des programmes pour faire face à la mobilité est européenne. Aujourd’hui, il existe de multiples programmes financés par l’UE. Le BTP a fait école et l’agriculture suit la même direction. Nous, en tant qu’experts, avons donc deux chantiers ouverts sur le plan européen, mais ce sont les partenaires sociaux du secteur qui avancent. Sur ces deux secteurs là, le sujet des pensions est en train de mûrir. Or ce n’est pas un sujet de négociation européenne aujourd’hui.

Est-ce que cela va déboucher sur le PEPP ou au niveau du 2e pilier ? Intuitivement, je dirais plutôt du 2e pilier. La conclusion viendra de la capacité des partenaires européens à conclure. Cependant aujourd’hui, la discussion porte sur ces sujets-là. L’AEIP, qui est une organisation de lobbying technique sans débat politique, est en train d’alimenter un dialogue social européen politique et qui nécessite, si on veut bâtir du social demain, que l’on s’en occupe activement. La demande sociale est là, et va prendre de l’ampleur. Un jour ou l’autre il va falloir écouter les partenaires sociaux européens pour aboutir à quelque chose de concret. Y-a-t-il conflit d’intérêt ? Les organismes paritaires travaillent à la fois pour les organisations syndicales et les organisations d’employeurs.

Le statut de mutuelle européenne n’existe pas

Je voudrais revenir sur le sujet de ce soir. Quelle stratégie européenne des groupes ?

A part les sociétés de capitaux, qui ont l’outil économique pour faire de la croissance externe et avoir une vraie stratégie européenne, les mutuelles et les institutions paritaires n’ont pas cet outil. Il nous manque l’outil de consolidation financière. Si on veut coopérer entre groupes paritaires, on doit fabriquer des joint-venture sur la base du modèle des sociétés de capitaux qui pourraient être d’ailleurs paritaire. Cet outil n’est pas utilisé par les Français car ils n’y voient aucun avantage. A part les prestataires de service pour le compte de multinationales, qui vont situer leurs activités au Luxembourg ou au Pays Bas car ce sont les deux législations les plus intéressantes, aucune institution de retraite paneuropéenne n’est basée en France. Cette absence d’outil ne nous permet donc pas d’envisager de vraies stratégies européennes.

Le statut de mutuelle européenne n’existe pas, le statut d’institution paritaire n’existe pas, la seule voie un jour possible est l’accord européen. L’Autorité européenne du travail pourrait l’agréer, la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne.

Une vraie stratégie européenne ne peut être bâtie que par des multinationales ou des partenaires sociaux européens.

Les contre exemples

Aujourd’hui les réussites les plus évidentes de stratégies européennes sont rares.

En Italie, le projet Resaver, a abouti à un de fonds de pension paneuropéen pour les professeurs d’université en Europe. L’initiative a été prise par des universités en tant qu’employeurs pour leurs professeurs.

La coopérative paritaire PGGM est une structure de gestion de pensions au Pays Bas qui travaille aussi avec le Danemark et la Grande-Bretagne. Cette plateforme atteint 300 milliards d’euros et fonctionne très bien.

Avec la nouvelle Commission européenne, qui a mis en avant le climat et la digitalisation, si les partenaires sociaux ne se saisissent pas de ces sujets, dans l’ensemble de leur appréhension de la politique sociale on aura tout faux. On va voir arriver clairement un positionnement des organisations syndicales et patronales pour réclamer une orientation politique dans ce sens-là ».

[1] Pierre Gisserot. Le rapport aborde notamment le risque de la dépendance

[2] European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA)

Mis en ligne le 21 novembre 2019