La perte de sens est-elle une fatalité pour les cadres supérieurs ? L’objectif de ce débat, du 6 juin 2019, était de questionner et partager des stratégies de management alternatif et d’échanger sur des propositions de cadres dirigeants.
« Je travaille dans un grand cabinet d’audit au Luxembourg PricewaterhouseCoopers (PWC) et j’ai transmis des documents confidentiels à un journaliste, en Novembre 2014. Leur révélation est à l’origine de l’affaire Luxleaks sur l’optimisation fiscale des multinationales au Luxembourg.
Des mécanismes fiscaux opaques
Des questionnements éthiques, en tant que citoyen dans l’entreprise m’ont conduit à lancer cette alerte.
En tant qu’auditeur comptable, j’ai constaté que l’implantation, au Luxembourg de multinationales était virtuelle, artificielle. Elles entraient dans un mécanisme fiscal qui permettait de transférer des bénéfices, évitant ainsi d’être taxés dans des pays à fiscalité plus élevée, là où ils sont générés économiquement.
Les soupçons se sont nourris. Ces documents confidentiels, faisaient l’objet de mesures de sécurité très précautionneuses de la part du cabinet d’audit et des clients.
Soumis à un code de bonne conduite
Autant d’opacité paraissait suspect. Il s’agissait d’un dispositif fiscal accommodant avec des taux d’imposition proches de zéro. Chacun de ces montages complexes était approuvé par une seule et même personne. Avec l’expérience, je me suis aperçu que ces profits, si peu taxés, ne l’étaient nulle part ailleurs. Les détenteurs des comptes économisaient ainsi des centaines de milliards d’euros d’impôts.
Ces profits, si peu taxés, ne l’étaient nulle part ailleurs.
En tant d’auditeur, j’étais soumis à un code de bonne conduite par le cabinet d’audit qui demandait au salarié de se poser 10 questions dont :
- Cela vous semble juste ou justifié ?
- Auriez-vous honte si quelqu’un d’autre savait ce que vous faîtes ?
- A quoi cela ressemblerait dans les journaux ?
- Pouvez-vous dormir la nuit ?
Ce type d’interrogation est révélateur de ce à quoi peut aboutir un code de bonne conduite. C’est parce que je ne dormais plus la nuit que j’ai donné l’alerte. Une perte de sens dans mon travail qui ne pouvait pas me laisser indifférent.
La perte de sens dans le travail est-elle une fatalité pour les cadres supérieurs ?
L’alerte est un outil pour redonner du sens au travail. On donne des responsabilités à chacun des collaborateurs en le définissant comme acteur, partie prenante pour identifier les dysfonctionnements au sein de l’organisation, les révéler et y apporter une réponse. C’est toute la dimension donnée à l’alerte dans la protection en France dans la loi.
« Mon exemple montre qu’il faire entrer la citoyenneté dans l’entreprise“.
Le premier canal est l’alerte en interne. Elle possède une dimension inclusive, c’est un dispositif efficace pour les alertes qui concernent des cas de corruption un peu isolés ou des disfonctionnements marginaux. Dans une alerte plus systémique qui remet en cause le fonctionnement même de l’activité, le signalement conduit bien souvent le lanceur d’alerte à quitter l’entreprise, par choix ou de manière subie.
Avec mon master de grande école, je suis profession intermédiaire. Lancer l’alerte revient souvent, aujourd’hui, à accepter de changer de vie. Mais je ne connais quasiment aucun lanceur d’alerte qui regrette d’avoir fait entrer la citoyenneté dans l’entreprise.
Aujourd’hui avec mon master de grande école, je suis profession intermédiaire. Lancer une alerte peut conduire à sortir du jeu.
« Mon exemple montre qu’il faire entrer la citoyenneté dans l’entreprise“.